Interview de Grunge News à Louis de Gouyon Matignon
Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Je m’appelle Louis de Gouyon-Matignon j’ai 28 ans, je termine mes études de droit et fais une thèse de doctorat en droit de l’espace (je m’intéresse aux aspects contractuels des lancements des fusées, satellites, …). Je suis ce parcours entre l’université Paris-Panthéon Sorbonne et l’université de Georgetown à Washington, D.C.
Vous êtes parti étudier en Corée du Nord, pourquoi cette destination ?
Je suis parti à deux reprises. La première fois en tant que touriste en 2016 puis en temps qu’étudiant à partir de l’hiver 2017. C'est un pays qui m’intéresse car il est resté différent du reste du monde, en séparation du monde. On ne retrouve pas tout ce que nous pouvons avoir dans une économie de marché des les pays en voie d’intégration ou déjà intégrés. Il n’y a pas de grandes enseignes, pas les mêmes réflexes vis-à-vis des technologies applications, Internet, …
C'est une vision du monde profondément différente qui est très politisée et c’était ça qui m’intéressait.
J’ai toujours été intéressé de la manière dont nous pouvions appréhender le monde différemment, comment rester différent dans un monde où il y a de plus en plus d’uniformisations.
Comment continuer de pouvoir voir les choses différemment ?
C’est la raison pour laquelle je me suis beaucoup engagé auprès des minorités notamment auprès des gens du voyage. J’ai par ailleurs écrit des ouvrages linguistiques, des dictionnaires dans la langue des Inuits, de Corée du Nord, des tsiganes, …
J’ai toujours souhaité voir et appréhender le monde différemment. Pour ça j’ai d’abord été au contact des minorités puis j’ai voulu aller en Corée du Nord pour découvrir le dernier pays resté à l’écart du monde moderne et urbain.
Comment fait-on pour partir étudier là-bas ? Quelles sont les procédures à suivre ?
Ou bien on part en tant que touriste et là on se rend sur le web pour trouver une agence de voyages ou bien on contacte une sorte d’ambassade (à proximité de la gare Montparnasse à Paris). Celle-ci nous met en relation avec certaines personnes pour obtenir un VISA et pouvoir partir, étudier dans mon cas, en Corée du Nord.
Quel était votre objectif en partant en Corée du Nord ?
Pouvoir vivre dans un pays qui est resté profondément différent dans l’objectif de comprendre comment le monde évoluait et l’histoire se réalisait là-bas.
Qu’avez-vous fait le premier jour lorsque vous êtes arrivé en Corée du Nord pour y installer vos valises d’étudiant ?
On n’arrive pas en Corée du Nord comme dans n’importe quel autre pays avec un aéroport bondé de monde, un taxi, un hôtel, … La seconde fois je suis parti en train et à mon arrivée dans la gare de Pyongyang, il y avait tout une équipe de professeurs qui m’attendaient dans un mini vanne. C’était début février, il faisait froid et il y a peu d’énergies dans la ville, c’était peu éclairé. Nous ne sommes pas directement partis à l’université car les chambres étaient en rénovations mais dans un hôtel où j’ai dîné le soir avec l’ensemble des professeurs.
Venant d’Europe, qu’est ce qui a radicalement changé à votre arrivée en Corée du Nord par rapport à l’Occident ?
Le fait que ce soit un monde différent, ralenti. L’ambiance se rapproche de celle du confinement que nous avons vécu en France même s’il y a plus de monde dans les rues coréenne. Il y a peu de monde, peu d’activités, les gens sont pauvres, des violences politiques, des slogans et une propagande présente à chaque coin de rue. La pauvreté (économique) des habitants se ressent dans leurs habits, dans leur physique, dans l’ambiance et l’atmosphère générale.
C’est donc un pays très pauvre qui fonctionne au ralenti. C'est pour moi ce qui marque le plus lorsque l’on arrive en Corée du Nord.
Comment fonctionne l’université en Corée du Nord ?
L’université fonctionne de la même manière qu’une université française ; il y a des heures d’ouverture, des classes, des amphithéâtres, des pauses, un réfectoire, …
J’arrivais le matin à l’université à 8 heures et je repartais à 13 heures, heure à laquelle j’avais donc du temps libre.
Quelle est la journée type d’un Coréen du Nord ? Suiviez-vous la même organisation ?
Il n’y a pas vraiment de journée type, tout le monde ne fait pas les mêmes activités, il y a plein de schémas de vie différents indépendamment du lieu d’habitat, de l’âge, du type de métier, …
Or, ce qui règne en Corée de Nord c’est une importante uniformisation, une grande rigueur. La société est très automatisée. Les mouvements tout comme la vie paraissent automatiques. On ressent un rythme imposé par l’état, un rythme qui est le résultat des formes du travail qui existent là-bas. Se construit donc une société qui dépend des directives d’un état qui est autoritaire et dur avec sa population.
C'est un pays où il y a donc une forme de lourdeur, de pauvreté et d’automatisme
Pouvez-vous nous raconter un fait qui vous a marqué là-bas ?
A l’université j’avais un professeur particulier qui m’aidait notamment à apprendre le coréen. De plus, il fallait aussi que je sois séparé des autres étudiants Nord-coréens le temps que je m’acclimate au milieu dans lequel j’étudiais désormais.
Mon professeur voulait au départ devenir footballeur professionnel or il s’est retrouvé à donner des cours de Nord-Coréen à des élèves. En Corée du Nord on ne choisit pas son métier ; c’est l’état qui impose un choix entre différentes activités professionnelles en fonction du besoin de la main d’œuvre du pays.
Pouvez-vous nous raconter votre meilleur souvenir de votre passage en Corée du Nord ?
Mon meilleur souvenir a été quand je suis parti skier dans le sud du pays. C’était incroyable de pouvoir skier dans un environnement totalement dingue. Skier en Corée du Nord c’est le summum de la folie. Les paysages étaient splendides, les gens étaient gentils ; il y avait des Nord-Coréens mais aussi des Chinois (certains étudiaient avec moi à l’université).
J’ai beaucoup apprécié une soirée où nous avons dîné tous ensemble. Nous avons fait du karaoké c’était un très bon moment.
Quelle a été votre plus grande peur lorsque vous viviez là-bas ?
Je prenais de plus en plus de libertés, notamment celle de partir courir seul dans Pyongyang sans surveillant. Je m’entraînais pour le marathon de Pyongyang et un jour après deux heures de courses et lorsque je suis rentré à l’hôtel, le chef des étudiants m’a dit que j’avais commis une grave erreur en partant seul et si longtemps. Si je recommençais je pourrais être puni m’a-t-il dit. Ce qu’il m’a dit m’a heurté car je suis un touriste, je viens, je paye pour étudier à l’université, je ne représente pas une menace, je n’ai pas de lien avec l’extérieur, je n’ai pas de profil type militaire / renseignement, je suis un étudiant avec un programme universitaire.
Si on me menace avec des termes qui sont lourds c’est qu’il devait y avoir quelque chose qui n'allait pas. C’est à ce moment que je me suis dit qu’il fallait que je parte. Je ne pouvais plus rester dans un pays où je me sentais oppressé sur le plan de la sécurité et de la surveillance.
La vie était comme un confinement quotidien sans eau chaude à l’exception du matin / midi / soir pour seulement 30 minutes d’usage, avec peu de nourriture, pas d’accès a Internet, pas de télévision, pas d’accès au monde extérieur. Je dormais avec un surveillant qui me suivais dans tous mes moindres faits et gestes et qui devait faire un rapport quotidien à l’équipe d’étudiants de mon comportement pour savoir comment la journée s’était déroulée, …
Je n’ai plus supporté cette ambiance et donc je partais aussi régulièrement voir le représentant de la France en Corée du Nord. J’allais le rencontrer dans un lieu qui serait similaire à une ambassade française mais qui n’en est pas une. Effectivement la France n’est pas reconnue sur le plan du droit international et c’est donc un « bureau de coopération » qui remplace l’ambassade.
J’ai donc passé du moment avec ce représentant et sa famille, c’était des moments de mon séjour où j’ai pu le plus m’échapper.
Existe-t-il des couvre-feux dans la journée ? Si oui, comment sont-ils gérés ?
Il n’y a pas de couvres-feus, les gens travaillent normalement.
Les habitants du pays rêvent-ils de pouvoir fuir le pays ? Parlent-ils facilement entre eux de ce genre de sujets ?
Pas totalement, c’est quelque chose de difficile à comprendre avec un regard occidental. La réalité ce n’est pas entièrement de l’épuisement à vivre dans ce pays. C’est aussi de la fierté et un attachement au pays. Ne connaissant pas le monde extérieur il est difficile pour les habitants de se projeter ou bien même d’être frustré par des choses que l’on ne connaît pas. Par exemple le fait que chacun ait une voiture que de vivre ils ne le connaissent pas vraiment donc il n’y que peu de frustrations. Ils sentent d’un côté qu’il y a des violences / pressions bien trop excessives mais d’un autre côté ils sont fiers de leur pays, fiers de leur leader, fiers de vivre dans un pays qui résiste au reste du monde et en particulier aux Etats-Unis d’Amérique. Certains ont envie de partir, voir ailleurs mais ce n’est pas pour ces raisons qu’ils dénigrent leur pays ou bien même qu’ils ont envie que le système change.
Comment la population perçoit Kim Jung-un ?
La population est fière de son leader, elle l’aime malgré le fait que les habitants ressentent de l’oppression et que certains aimeraient que cela change.
Comment les Coréens du Nord voient-ils le monde ?
Il y a eux et le reste du monde. Ils ne se posent pas vraiment ce genre de questions, chacun tente de s’en sortir du mieux qu’il peut.
Le droit à toutes informations publiques est un droit bafoué par le régime dictatorial en place, comment les habitants vivent-ils cette interdiction ?
C’est difficile de répondre à cette question, ils ne le vivent pas comme cela.
Qu’est-ce qui est où a été différent entre la date ou vous êtes parti, et la Corée du Nord de Maintenant ?
Le pays n’a pas vraiment changé. Il a plus évolué ces 20 dernières années. A l’époque du président éternel Kim Il-sung c’était très dur mais ça l’était encore plus dans les années 90 – 2000 avec le père de Kim Jung-Un, Kim Jong-il. Cette période a été la plus difficile (famine, beaucoup de violences, …). Désormais, c’est un pays qui a plus envie de s’ouvrir au reste du monde. La Corée du Nord aurait même envie de devenir le nouvel atelier du monde à l’image de la Chine. La Corée du Nord est devenue même dans certaines industries « l’ouvrière de la Chine ». C’est un pays qui a envie de rentrer dans le monde progressivement tout en gardant un contrôle sur le peuple. Kim Jung-Un laisse plus de libertés qu’il y a encore 10 ans ; les habitants peuvent avoir des voitures, des téléphones portables, … Les gens peuvent même voyager jusqu’à la frontière chinoise.
Comment voyez-vous la Corée du Nord évoluer dans les années à venir ? Existera-t-il selon vous une réunification avec la Corée du Sud ?
Je pense que la Corée du Nord va rentrer dans le monde, elle va progressivement adopter tous les aspects nécessaires (on le remarque déjà avec les téléphones portables, …). Je pense que cette ouverture va se faire très lentement.
Peut-on espérer réussir sa vie en Corée du Nord en venant d’Occident ?
Non, vous ne pourrez pas y travailler. Il vous faudrait un contact local pour éventuellement espérer trouver une occupation professionnelle. Y vivre est très dur, le pays ne respecte pas les lois internationales vis-à-vis du commerce et tous autres échanges. C’est presque impossible de pouvoir réussir sa vie en Corée du Nord en venant d’Occident.
Conclusion par Louis de Gouyon-Matignon :
La Corée du Nord est donc un pays violent, dictatorial, brutal. C’est un pays qui est resté en dehors du monde mais qui essaye de s’en sortir et qui cherche par tous les moyens et de manières plus ou moins autonome de s’ouvrir. La vie des habitants est moins dure qu’il y a encore 10 ans.
C’est un pays politiquement fascinant car il est radicalement différent, c’est la même chose pour les habitants. Ce pays est unique. Lorsque l’on va en Corée du Nord on est totalement dépaysé. Pour autant ce n’est pas une destination que je recommande, ce n’est pas agréable de vivre là-bas malgré le fait qu’il se construit pour s’intégrer au monde.
J’espère que d’ici 15-20 ans la Corée du Nord sera à l’image de la Chine. Les gens vivront dans un pays où il y a une économie beaucoup plus dynamique, où les gens ont beaucoup plus de libertés qu’aujourd’hui, … La transition entre le monde d’avant et le monde d’après ne serait alors pas trop violente.
- Grunge News vous remercie de votre collaboration. -
Vous pouvez consulter le site web de Louis de Gouyon Matignon juste ici.
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